L’équipe PANDA Guide part à la rencontre de personnes inspirantes, des personnes déficientes visuelles, aveugles, mais pas seulement, surtout des personnes qui accomplissent de grandes choses, et font changer le regard de la société sur la déficience visuelle, en France et à travers le monde…
Patrice Radiguet, 62 ans et en pleine forme, déficient visuel profond. Ma « culture », c’est le braille.
Ma « culture », c’est le braille.
À pied, ou en avion ? (lol).
Après un bac spé maths, j’ai poursuivi mes études universitaires dans la psychologie à l’Université de Toulouse-le-Mirail. J’ai ensuite passé mon BAFA et je suis devenu instructeur non permanent aux CEMEA et, à ce titre, j'encadre plus de 45 stages de formation ou de perfectionnement d'animateur de Centre de Vacances et de Loisirs.
Si je mentionne ces derniers points, c’est qu’ils vont avoir une influence primordiale dans la mise en place, la structuration et la gestion de l’Association Les Mirauds Volants, quelques années plus tard.
J’ai ensuite été Prof de braille. Un autre point qui eût beaucoup d’importance pour la suite est que, si “Maître de Braille” fut mon titre officiel, je déviais très vite de l’enseignement proprement dit du Braille pour m’intéresser à la valorisation et à l’éducation du toucher dans le cadre de mon poste d’enseignant. C’est à ce titre qu’en janvier 1990, je fondais, la “Tactilothèque”. En plus de l’enseignement, cette structure avait pour but l’adaptation tactiles d’objets et de concepts, pédagogiques ou éducatifs, à l’adresse d’enfants et d’adolescents handicapés de la vue ; l’éducation du toucher.
En plus de l’enseignement, cette structure avait pour but l’adaptation tactiles d’objets et de concepts, pédagogiques ou éducatifs, à l’adresse d’enfants et d’adolescents handicapés de la vue ; l’éducation du toucher.
En février 1999, fondation de l’Association Les Mirauds Volants avec deux autres comparses : Éric Vanroyen, pilote instructeur, et Jean-Claude Laporte, pilote privé récemment atteint de cécité.
Oui, j’ai un long parcours “sportif”, allant de la pratique de l’escalade (à un bon niveau), de la spéléologie ou du VTT de trial et de descente à celle du canoë, du judo et, en dernier avatar, de l’aviation (avion, planeur ou ULM).
Un thé parfumé, du bon pain et de la confiture ! (lol).
Le fait très rare dans notre société, c’est que mes fonctions de responsable associatif et ma passion pour l’aviation sont confondues dans la même activité. Bien peu de personnes, qui vont tous les matins au chagrin, ont cette chance.
Mon manque total de culture dans ce domaine fait que je ne connais ni l’un ni l’autre. Cependant, si j’ai bien saisi l’esprit de la question, je répondrais que je n’ai jamais rien fait, dans ma vie, pour me prouver quoi que ce soit ou pour le prouver aux autres.
La seule chose qui me guide, c’est la satisfaction d’atteindre un but que je me suis fixé, et ce but est uniquement guidé par mon envie de découverte.
La seule chose qui me guide, c’est la satisfaction d’atteindre un but que je me suis fixé, et ce but est uniquement guidé par mon envie de découverte.
Je ne me pose jamais la question du : « vais-je y arriver » ? mais du « comment vais-je y arriver » ? Et c’est là que le challenge devient intéressant : trouver et mettre en place les moyens permettant d’atteindre l’objectif qu’on s’est soi-même fixé.
Je ne minimise ni ne nie pas l’existence de vraies difficultés, mais je dois être finalement assez joueur. Lorsque j’étais plus jeune, très « mauvais joueur » et détestant perdre, je m’efforçais toujours de contourner les règles et d’en exploiter les « non-dits » afin de gagner. Dans ma vie d’adulte, j’ai poursuivi en défiant les préjugés et en démontrant que les limites qu’on me fixait n’étaient bien souvent pas les miennes.
Il y en a beaucoup car je suis un gros lecteur, principalement en audio MP3. Je pourrais te répondre en te disant que c’est un livre qui parle d’aviation, et c’est vrai que beaucoup m’ont passionné. Je peux te citer « Le Grand Cirque », de Pierre Clostermann, ce livre magnifique qui a amené à l’aviation plus de 10 générations de pilotes.
Mais sans conteste, le (ou plutôt les) livres, puisqu’il s’agit d’une saga, qui m’ont laissé le souvenir le plus fort c’est « Les piliers de la terre », de Kenn Follett. Face à la puissance que j’ai senti après la lecture de ces trois ouvrages, j’ai dit : mais après ça, on ne peut plus rien lire ! Et effectivement, il m’a fallu quelques temps avant de me remettre à d’autres ouvrages.
Le cinéma n’est, chez moi, ni une passion ni un besoin. Mais les très rares fois où je vais voir un film (environ une à deux fois par an), je préfère qu’il soit en audiodescription.
Je pilotais alors depuis plus de 10 ans déjà, et beaucoup de mes amis, Mirauds comme moi, m’enviaient et avaient envie de partager mon expérience. En plus, je suis un être bizarrement foutu : lorsque j’aime quelque-chose, j’aime le partager avec mes amis.
C’est à ce moment que, pilotant déjà depuis une dizaine d’années en aéro-club et ayant récemment rencontré l’Amicale des Pilotes Aveugles de France (association qui n’existe plus car dissoute fin 1999), il fallut bien créer une structure qui réponde à l’aspiration de ce public.
Son objectif : permettre à des personnes, atteintes de cécité ou fortement handicapées de la vue, d’accéder au pilotage monitoré des avions, planeurs, ULM (et en règle générale de tout ce qui vole), dans des conditions optimales de sécurité.
Il se trouve qu’avec ma compagne, Chantal, nous partageons la même passion pour l’aviation ; elle est elle aussi pilote et atteinte de quasi-cécité. Avant de la rencontrer, je possédais déjà un petit avion biplace, mais ayant pour intention de partager désormais nos vols, il fallait se mettre à la recherche d’une machine plus conséquente. Et puis, il y avait aussi Fuego, le chien-guide de Chantal, qui partage beaucoup de nos vols (en place arrière bien entendu).
Étant par ailleurs un amoureux des avions anciens, j’ai trouvé, à un prix raisonnable, ce BOISAVIA B-601-L, type Mercurey. Il s’agit d’une machine de 1957 et de fabrication française. Mais nous nous sommes très vite rendus compte que son entretien et sa rénovation même laissaient gravement à désirer. Avec un groupe de quatre amis, nous avons donc entrepris de le démonter et de le remettre dans un état qui ne rendrait pas son pilotage aléatoire, et cette restauration touche aujourd’hui à sa fin. Nous espérons remettre en vol cette pièce unique dans les toutes prochaines semaines.
Là, et je m’en excuse par avance, il va falloir entrer dans des notions quelque peu techniques.
Le Soundflyer est un « dispositif sonore et vocal de conduite de vol pour personnes handicapées de la vue ».
Développée par un groupe d’ingénieurs de THALES la « version 1 » du Soundflyer, en fonction chez les Mirauds Volants depuis août 2003, est un véritable tableau de bord sonore et vocal. Il communique au pilote aveugle ou malvoyant, directement dans son casque, l’essentiel des informations de vol et de navigation. Ainsi, il a considérablement accru leur autonomie à bord, même si dans les conditions actuelles, ils ne peuvent être seuls aux commandes.
De façon sonore « notes de musique », Soundflyer transmet les informations d'« attitude » de l'avion : assiette et inclinaison, et à l'aide d'un clavier, possibilité d'interroger, de façon vocale, les informations de vitesse sur trajectoire et de vitesse verticale (variomètre), de route suivie et de route à suivre, de vitesse (sol), et de distance au prochain point tournant (goto).
Enfin, il est indispensable que la possibilité du vol pour les personnes aveugles et amblyopes dépasse très largement nos frontières car, à ce jour, il n’y a qu’en France que cette activité est possible.
Enfin, il est indispensable que la possibilité du vol pour les personnes aveugles et amblyopes dépasse très largement nos frontières car, à ce jour, il n’y a qu’en France que cette activité est possible.
Jusqu’à ce jour, ils ont été excellents. Lorsque les démarches ont été entamées afin d’avoir accès à la partie théorique du Private Pilot Licence (ou PPL), ils nous ont même beaucoup facilité les choses. C’est ainsi que, chez Les Mirauds Volants , la fin de l’année 2015 et l’intégralité de l’année 2016 ont permis à 7 pilotes aveugles ou malvoyants profonds de préparer, puis de présenter l’examen théorique de pilote privé, et 5 d’entre eux l’ont obtenu. Ceci constitue encore une première mondiale absolue.
Mais depuis, toutes nos démarches pour aller plus loin et obtenir, par exemple, une licence complète (mais avec restrictions, cela va de soi), sont restées “lettres mortes”.
Non, absolument pas, et dans l’état actuel des choses et des connaissances techniques, c’est hors de question.
Il est justement une question, et/ou une remarque que l’on me fait souvent : « Oh, un jour prochain, ils te ramèneront jusqu’au sol de façon automatique ». Et moi de répondre que, ce jour-là, je ne serais plus dans l’avion parce que, ce qui me plaît, c’est de piloter et non de me laisser guider du sol comme un paquet.
Et puis, partager un vol avec un ami ou un compagnon (pilote breveté ou un instructeur), est un grand plaisir. Même si nos petits avions d’aéro-club sont des avions « monopilote », par la force des choses, nous travaillons en équipage, et c’est une très belle aventure.
De la façon la plus épicurienne possible, non mais !!!
La pratique d’un sport aérien, sauf s’il est de haut niveau, ne représente pas un entraînement particulier, mis à part une bonne hygiène physique et mentale.
Ce qui est important, est que ces personnes n'appréhendent plus de découvrir le monde qui les entoure avec leurs doigts. Cette affirmation, je le sais, peut paraître aberrante puisque, dans la croyance populaire : lorsqu’on ne voit pas, on touche, c’est évident ! ...Sauf que dans la « vraie vie », ça ne marche pas tout à fait comme ça.
Lorsque j’étais enseignant, je me suis très vite aperçu que les enfants et adolescents qui m’étaient confiés avaient beaucoup de mal à découvrir leur environnement avec leurs doigts. Et lorsqu’on y réfléchit un peu, c’est assez normal. En effet, si je ne sais pas vers quoi je vais, je peux craindre d’exposer la pulpe de mes doigts à un inconnu : peut-être agressif, brûlant, visqueux etc… C’est le pourquoi, durant la dernière partie de ma fonction enseignante, je m’étais attaché à développer l’éducation du toucher comme une discipline à part entière.
C’est le pourquoi, durant la dernière partie de ma fonction enseignante, je m’étais attaché à développer l’éducation du toucher comme une discipline à part entière.
J’ai personnellement, dans ma vie, exercé beaucoup d’activités manuelles, soit en tant que « petits boulots », soit au titre de hobbys. J’ai notamment exercé la mécanique automobile pendant plusieurs années, ainsi que les bricolages en tous genres. Si les personnes handicapées se sentent attirées par cela, c’est très bien, mais il faudrait qu’en règle générale, elles concrétisent davantage l’essentiel de leurs connaissances intellectuelles en découvrant les formes et interactions de ce dont elles discourent, parfois fort savamment. Cela éviterait ce dont beaucoup de bouquins de psychopédagogie parlent : le verbalisme. On peut résumer ainsi ce concept : le verbalisme est l’art de discourir très savamment de choses qui restent des connaissances purement intellectuelles, sans aucun ancrage concret ni sensoriel.
Arrête de faire chier le monde avec ton handicap, il n’est un frein à rien de ce que tu désires ; imagine seulement comment contourner les obstacles. Devient acteur de ta vie.
On touche là un point important et, je dirais même grave, de nos jours. L’attrait que constituent les « nouvelles technologies » est indéniable. J’en suis moi-même un utilisateur, ne serait-ce que parce que je travaille tous les jours sur mon PC portable et qu’il me suit partout. L’addition d’une synthèse vocale et d’une plage braille nous permettent bien souvent d’être plus performants que beaucoup de personnes valides.
De plus, il serait absurde de nier ce que ces technologies numériques nous ont permis à nous, les mirauds : accès à une très large culture par le biais d’internet, stockage de livres et de documentation, soit en audio, soit en braille numérique relayé par une plage tactile braille sur notre ordinateur.
Cependant, le braille lui-même, et surtout le braille sur papier, tant lu qu’écrit, est quelque-chose d’indispensable à posséder ET À PRATIQUER RÉGULIÈREMENT POUR Y ETRE À L’AISE. Il est pour nous équivalent du stylo et du papier pour les voyants et : imaginez seulement une civilisation qui aurait perdu l’écriture ? « Retour à la préhistoire » !
Il est pour nous équivalent du stylo et du papier pour les voyants et : imaginez seulement une civilisation qui aurait perdu l’écriture ? « Retour à la préhistoire » !
Un exemple simplement pris dans mon activité au sein des Les Mirauds Volants. Lorsqu’on veut partir en avion, on commence par préparer son vol au sol : type d’avion, parcours envisagé, personnes et poids emporté, nécessité en carburant, zones aériennes éventuellement traversées avec leurs contraintes, fréquences radio à afficher selon où l’on va et les zones traversées, caractéristiques et particularités des aérodromes de départ, d’arrivée, sur le parcours etc… Toutes ces informations se doivent, à n’importe quel moment du vol, d’être à la disposition du pilote, fusse-t-il aveugle. Nous les copions donc en braille et les rassemblons sur un système de fiches, aisément manipulables. Et là est la limite de celles et ceux qui ne connaissent pas ou refusent le braille.
Alors, ils peuvent toujours nous dire : « je les enregistre sur mon dictaphone ». Cela est parfaitement inutilisable en vol, ne serait-ce qu’en raison de leur difficulté de manipulation et à cause du bruit du moteur. Ou bien, « Mais c’est mon instructeur qui va me les lire au fur et à mesure » … En tout cas, ces personnes se limitent dans leur autonomie et leur conscience d’être des pilotes à part entière, juste par leur refus du braille. De plus, en plus de fournir toute la documentation en caractères agrandis et en braille, il me faut désormais également la fournir en fichiers MP3, et c’est là un travail supplémentaire non négligeable.
Celui-ci serait de se définir d’abord comme une personne, avec ses envies (et peut-être particulièrement son envie de vivre), et non comme un « handicapé ». Le handicap ne doit en rien constituer un obstacle à la vie et à la réalisation de l’être, même s’il introduit une différence et quelques obstacles, toujours surmontables à condition de le vouloir et de ne pas attendre qu’on le fasse à notre place.
Le handicap ne doit en rien constituer un obstacle à la vie et à la réalisation de l’être, même s’il introduit une différence et quelques obstacles, toujours surmontables à condition de le vouloir et de ne pas attendre qu’on le fasse à notre place.
Nous devons être pleinement acteurs de notre vie, et non attendre les sollicitations de façon passive. Sans cela, tant pis pour nous, nous serons à tout jamais ce que « LES AUTRES » voudront bien que nous soyons.
Le handicap quel qu’il soit, n’est une excuse à rien, et surtout pas à emmerder le monde et à aller vers l’assistanat. Hauts les cœurs, bordel !...
Le handicap quel qu’il soit, n’est une excuse à rien, et surtout pas à emmerder le monde et à aller vers l’assistanat. Hauts les cœurs, bordel !...
MERCI BEAUCOUP !